Cet article est basé sur l’intervention de Jean-Marc Chaumet, salarié au Centre national de l’interprofession de l’économie laitière (CNIEL) - service économie. A travers l’exemple de la production de lait, le but est de comparer certaines politiques agricoles entres elles, pour montrer que d’autres façons de faire que la PAC existent. Seront présentées rapidement les politiques agricoles publiques de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis, du Canada et de l’Union européenne.
Contexte de la production laitière mondiale
En 2020, c’est environ 900 millions de tonnes de lait qui sont produites à travers le monde. Enfin presque à travers le monde, car les 10 premiers pays producteurs font 78 % de la production mondiale... Parmi eux, il y a l’Inde en tête, puis l’Union européenne des 27, les États-Unis, le Pakistan, le Brésil, la Chine, la Russie, la Turquie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni.
Cependant, seul 8 % de la production mondiale est échangée sur les marchés internationaux : 8 pays exportent massivement du lait (à 80 % du lait de vache), soit l’Union européenne en tête, puis la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, la Biélorussie, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Argentine et l’Uruguay. Les 92 % de lait produits et non exportés sont consommés localement : ainsi, même si l’Inde est le premier producteur mondial de lait en termes de volume, l’intégralité de sa production est consommée par ses habitants.
De l’autre côté, la Chine est le plus gros importateur de produits laitiers à l’échelle mondiale. Viennent ensuite (entre autres) la Russie, le Mexique, l’Algérie, l’Indonésie et l’Arabie Saoudite.
Les politiques publiques agricoles en Nouvelle-Zélande : des politiques libérales visant l’exportation et non interventionnistes
En Nouvelle-Zélande, 74 % de la SAU est couverte par des prairies. Le parcellaire est globalement peu morcelé et le climat y est tempéré et océanique. Le système de production est similaires à celui de l’Irlande : les besoins des vaches sont calés sur la pousse de l’herbe et il y a très peu d’investissements (bâtiments, salles de traite, intrants pour la ration...). Les coûts de production sont donc très faibles. Seul 5 % du lait produit est consommé sur le territoire, soit 95 % envoyé à l’export sous forme de poudres, de beurre et de fromage.
La production de lait et l’exportation représente 1/3 du chiffre d’affaire du pays, soit environ 7 % du PIB. Les éleveurs sont payés en matière sèche utile et non au litre de lait. Le système a été complètement dérégulé dans les années 90, passant d’un extrême très protectionniste à l’autre : les laiteries, qui vendent les produits laitiers pour la consommation interne du pays, entrent en concurrence les unes par rapport aux autres.
Les éleveurs vendant en laiterie se retrouvent donc aussi en concurrence les uns par rapport aux autres... mais pas s’ils vendent leur lait pour l’export. En effet, une seule coopérative, encouragée par l’État lors de sa création, achète le lait produit et le vend à l’international. Hormis cela, il n’y a pas de régulation publique des prix et pas de paiements directs aux éleveurs, qui sont donc très sensibles aux aléas, notamment aux débouchés chinois.
Les politiques publiques agricoles aux États-Unis : des politiques interventionnistes et visant l’exportation
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les États-Unis ont mis en place des politiques interventionnistes et ce depuis les années 1930 : contrairement à la Nouvelle-Zélande, les États-Unis soutiennent la production laitière et poussent à la production, notamment pour exporter sur les marchés mondiaux. Les producteurs vendent leur lait au FMMO (Federal milk marketing order) qui impose une différenciation des prix aux transformateurs (le prix du lait est plus ou moins élevé en fonction de l’utilisation qu’en fera le transformateur par la suite) et une centralisation des recettes (même si le prix du lait varie en fonction de la valeur ajoutée qu’en dégagera le transformateur-acheteur, la FMMO reverse aux producteurs une rémunération identique). On a donc un système avec des prix de base mensuel unique payé à chaque producteur et des prix d’achats différents pour les transformateurs.
Deux autres mécanismes d’intervention existent. D’abord, le "Dairy margin protection program" : les marges des producteurs sont calculées en fonction du prix du lait moyen moins le coût d’alimentation moyen des élevages. Tous les éleveurs bénéficient d’une garantie gratuitement, qui se déclenche lorsque le prix du lait est inférieur à 69 €/ 1 000 L. Cette assurance devient payante si les éleveurs veulent s’assurer plus de marge (a priori, payer davantage pour s’assurer davantage n’est pas beaucoup utilisé, car reviendrait très cher). Ensuite, le "Dairy product donation program" : un organisme, la Commodity Credit Corporation, est en charge d’acheter les produits laitiers états-uniens au prix du marché pendant 3 mois lorsque les prix sont trop bas, puis de les donner au consommateur via des programmes d’aide alimentaire. L’un des objectifs des États-Unis est d’encourager davantage à la production, pour augmenter la part de lait exportée.
Les politiques publiques agricoles au Canada : des politiques très protectionnistes et visant l’autonomie laitière
Le Canada est un des derniers pays à avoir encore une politique de quotas laitiers. Les politiques publiques y sont très interventionnistes, avec trois principes :
- des quotas laitiers —> ils sont ajustés régulièrement et de manière assez fine, en fonction de la consommation dans le pays de matières grasses. Si trop de lait est produit, les matières grasses du lait sont consommées dans le pays et les protéines sont exportées en poudres maigres, mal valorisées et entraînant une baisse du prix des produits laitiers impactant directement le producteur.
- un soutien au prix —> un réseau de ferme est étudié chaque année, pour y calculer notamment un coût de production moyen (en particulier les coûts d’alimentation du bétail) et y indexer les prix du lait.
- une limitation des importations à bas coût, via des protections douanières fortes.
Il n’y a donc aucun soutien direct aux producteurs : les prix sont stables tant que le volume de production n’augmente pas. Au sein de chaque province, les prix d’achat des produits laitiers sont identiques : il n’y a pas de concurrence entre les éleveurs. Il y a une concurrence entre les laiteries, sur la gamme de prix qu’elles proposent, en lien avec une compétitivité sur les outils de transformation propres à chaque laiterie : elles ne peuvent ainsi pas faire pression sur les éleveurs pour qu’ils baissent leurs prix. Les éleveurs sont ainsi relativement protégés : la consommation est majoritairement locale, il y a de fortes barrières tarifaires et peu de concurrence entre les éleveurs.
Les politiques publiques agricoles en Europe : des politiques finalement peu interventionnistes
Depuis la suppression des quotas laitiers en 2015, l’Union européenne a menée une politique augmentant la concurrence entre les pays membre de l’Union. Depuis, on observe de grandes disparités dans la productivité du travail (litre de lait produit par unité de travail) entre les pays membre : en Pologne, elle est inférieure à 70 000 L/UTH, alors qu’au Danemark elle est supérieur à 500 000 L/UTH...
Cela s’explique notamment à travers la compétitivité prix de chaque pays membre. En Irlande, les coûts de production sont très bas, notamment grâce aux conditions climatiques et à des systèmes herbagers demandant peu d’infrastructures et d’investissement. Et le prix du lait acheté est supérieur aux coûts de productions. Au Danemark et au Pays-Bas, les coûts de productions sont très élevés, avec des systèmes très intensifs et "hors-sol", mais les prix du lait sont supérieurs aux coûts de production, même si ces derniers sont élevés (différents mécanismes de régulation des prix). En France, les coûts de production sont relativement élevés... et les prix du lait plutôt bas, car les entreprises et coopératives achetant le lait payent moins. La loi Egalim de 2018 vise à baser le prix du lait non plus sur ce que décide les industriels, mais sur le coût de production des éleveurs, mais n’est pas encore efficiente...
Au niveau de l’Union européenne, si la production augmente, elle est exportée : la consommation intérieure est stable. Cela place les pays membres non seulement en compétition entre eux, mais aussi en compétition avec le reste du monde : ils sont généralement très sensibles aux aléas (climatiques, politiques, sanitaires...). Les prix du lait sont fixés en fonction du marché et il arrive plus ou moins régulièrement que les éleveurs ne rentrent pas dans leurs frais...
En conclusion...
En Nouvelle-Zélande, il n’y a quasiment pas de régulation publique et l’économie du lait est basée sur de très faibles coûts de production et est quasiment intégralement tournée vers l’exportation. Les éleveurs n’ont aucun "filets de sécurité" face aux divers aléas.
Aux États-Unis, troisième exportateur mondial de produit laitier, le prix du lait est très encadré par les FMMO et il existe deux filets de sécurité (assurance-marge et achat de produits laitiers en cas de prix trop bas).
Au Canada, la production de lait est prioritairement destinée à la consommation en interne et non à l’exportation, avec notamment de fortes barrières tarifaires... tout en prônant l’ouverture des frontières des autres pays.
Dans ces trois pays, les prix entre producteurs restent homogènes et ces derniers ne sont pas "seuls" à négocier leur prix face aux laiteries / transformateurs ! Ce qui n’est pas le cas dans l’Union européenne, qui cherche justement la concurrence entre les éleveurs et entre les pays, même si les PACs tendent vers une redistribution égalitaire entre les pays membres... mais pas encore entre les différents types de producteurs, où l’agrandissement est le principal levier utilisé et encouragé pour être plus compétitif que les autres.