Le 25 mars dernier, Solagro a organisé un webinaire intitulé "Préserver la biodiversité dans les parcelles pour sortir des pesticides". Ils en ont publié une synthèse, sous le titre évocateur de "Diminution des pesticides ne signifie pas diminution des rendements, au contraire". Retour sur les études et conclusions présentées au cours de ce webinaire.
Solagro, c’est quoi ? C’est qui ?
Solagro est une association créée en 1981, à Toulouse, par des paysans·nes, des chercheurs·euses et d’autres professionnels·les. Ses objectifs étaient "de favoriser l’émergence et le développement, dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, de l’agriculture et de la forêt, de pratiques et de procédés participant à une gestion économe, solidaire et de long terme des ressources naturelles", selon leurs mots, tirés de leur site internet (lien disponible en bas de cet article). Depuis 2009, les statuts de l’association ont été modifiés, pour devenir une entreprise associative.
Les objectifs de Solagro et leurs savoirs-faires ont légèrement évolué avec le temps, aboutissant aujourd’hui à "une expertise innovante au service des transitions énergétiques, agroécologiques et alimentaires". Pour cela, ils mènent des études techniques, de la prospective (construction de scénarii possibles), participent à des projets de recherches et forment et accompagnent sur le terrain différentes structures.
Ils mènent ces actions sur 5 domaines d’intervention :
- l’agroécologie —> "Nous privilégions une approche globale et systémique, permettant d’assurer la cohérence de nos expertises et recommandations et d’anticiper les différents enjeux à venir (énergétiques, environnementaux, climatiques, la consommation d’espace agricole, la qualité de l’alimentation). Notre approche s’opère dorénavant au niveau du système alimentaire et plus seulement du seul système agricole" ;
- la méthanisation —> "Solagro intervient dans tous les champs de la méthanisation : la méthanisation agricole, individuelle, collective, territoriale ; la méthanisation des boues de STEP et la valorisation du biogaz, ainsi que la valorisation du biogaz de décharge (...)" ;
- les stratégies territoriales —> "Schémas biomasse, schémas énergies renouvelables, stratégies agricoles et alimentaires, plans biogaz-méthanisation, plans climat énergie territoriaux, structuration de filières..." ;
- la forêt et le bois énergie —> ils mènent "des études d’approvisionnement et de structuration des filières".
En matière de questions agricoles et alimentaires SOlagro porte notamment un scénario, "Afterres 2050", proposant une réponse d’adaptation des sociétés face aux nombreux enjeux à venir ou en cours (augmentation de la population humaine mondiale, dérèglement climatique, perte de biodiversité, sécurité et souveraineté alimentaire, dépendance aux énergies fossiles...). Rendez-vous sur leur site internet pour en savoir davantage !
Les études et résultats présentés pendant le webinaire
Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS et travaillant sur l’agriculture et la biodiversité, a présenté trois études montrant qu’il n’y a pas de liens entre l’usage des pesticides et les rendements.
La première a été menée en 2007, sur la base de 150 parcelles de blé, appartenant à 30 agriculteurs (soit 5 parcelles par agriculteur). L’objectif était de démontrer un lien, une corrélation entre l’utilisation d’herbicide, en grammes/hectare, et les rendements, en quintaux par hectare. Résultat : pas de lien ! La relation « plus d’herbicide = plus de rendements » n’est pas vérifiée, pour deux raisons. La première, c’est qu’il n’y a pas de lien direct entre la dose d’herbicide et la présence d’adventices (lié à des phénomènes de résistances ? à un troisième facteur caché ?). La deuxième, c’est qu’il n’y a pas non plus de lien direct entre la présence d’une flore adventice et les rendements des cultures. Comment expliquer ces résultats, contraire à ce qui était attendu ?
Pour vérifier ces résultats, une autre étude a été menée de 2013 à 2019, sur 400 parcelles de colza cette fois-ci. En voici les résultats : « Ni l’utilisation des insecticides, ni l’utilisation des herbicides ne modifient les rendements dans ces parcelles de colza. Par contre, cela a un effet négatif sur la marge, c’est-à-dire qu’en gros, les agriculteurs perdent de l’argent en utilisant beaucoup d’herbicides ou de pesticides, puisque cela augmente les charges sans augmenter les rendements ».
Retours sur la question du blé, avec une troisième étude, de 2013 à 2014, sur 56 micro-parcelles. Et là, un résultat permettant d’expliquer que plus d’herbicide n’est pas égal à plus de rendement : « La simple présence du blé diminue la présence de la flore adventice de 77 %. Et l’ajout d’herbicide ne supprime en fait que 8 % des adventices en plus, ce qui explique du coup les résultats précédents, c’est-à-dire que les herbicides ne jouent que sur une petite fraction résiduelle de la flore adventice une fois que celle-ci a été très largement décimée ou déprimée par le blé. On peut conclure finalement que le meilleur herbicide, c’est le blé ».
Sabrina Gaba, chercheuse travaillant sur les pollinisateurs et le rôle du maintien des plantes sauvages à l’INRAE, parle ensuite des liens entre pollinisateurs et rendements, en grandes cultures toujours. Elle conclue : « La pollinisation par les insectes (abeilles) peut augmenter les rendements (30 à 40 %) des oléo-protéagineux (colza, tournesol) et le revenu des agriculteurs (110 à 240 €/ha, en fonction de la présence plus ou moins dense de pollinisateurs). A la fois l’utilisation d’intrants chimiques et la pollinisation par les pollinisateurs permettent d’augmenter les rendements, donc ces deux stratégies sont gagnantes. Mais seule la pollinisation permet d’augmenter de manière significative la marge brute. Cela est lié au coûts de intrants, supérieurs à l’utilisation de pollinisateurs, même en tenant compte du coût de mise en place de ruchers sur la parcelle ».
Caroline Gibert, animatrice Solagro de la plateforme Herbea (pour renseigner sur la lutte biologique), conclue par l’intérêt des bandes fleuries en bordure de parcelles. Elles permettent d’abriter de nombreuses espèces d’insectes, dont une grande partie d’auxiliaires.
... Mais de nombreux freins face aux changements de pratiques
Les études présentées ici ne datent pas d’hier et ont été confortées par d’autres études scientifiques. Le modèle de l’agriculture productiviste se fissure davantage d’année en années (à titre d’exemple, Vincent Bretagnolle rappelle qu’aujourd’hui dans les Pays du Nord, il faudrait 600 litres de pétrole (notamment avec l’utilisation d’azote minéral) pour produire… 1 ha de blé). Solagro a été créée en 1981 et intervient dans la « Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre », soit une zone comprenant 435 fermes, avec au total 20 % de la SAU en AB. Cependant, peu de changements dans les pratiques agricoles, malgré des conséquences de mieux en mieux connues et de plus en plus décriées.
Face à cette résistance au changement, Vincent Bretagnolle avant 3 raisons principales : « l’agroécologie n’est pas soutenue institutionnellement ; la biodiversité est en déclin ; d’autres risques, comme l’aversion au risque ». Il propose d’associer les citoyens à la démarche de changement de pratiques agricoles, puisqu’il est aussi question d’alimentation et de santé, « pour ne pas laisser supporter aux seuls agriculteurs le coût de la transition ».
Sabrina Gaba fait remonter d’autres résultats sur la question des freins aux changements. Suite à son étude sur l’impact des pollinisateurs sur les rendements d’oléo-protéagineux, elle demande à 103 agriculteurs s’ils sont prêts à adopter des pratiques favorables aux pollinisateurs… et la réponse est plutôt négative et plusieurs freins sont avancés. « Plus le coût d’implantation de ces pratiques est important, moins les agriculteurs sont prêts à l’adopter ». Bon, ce frein là n’est pas une découverte en soi.
Autre tendance observée : « Plus les agriculteurs ont un indice de fréquence de traitement [IFT, permettant une évaluation critiquable de l’utilisation de pesticides] important, donc plus ils seraient intensifs, moins ils seraient enclins à adopter des pratiques favorables aux pollinisateurs ». D’où le fait que l’équation « plus de pesticides = plus de rendements » soit encore vivace : cette équation est devenue une croyance et non plus un fait scientifique et elle relève davantage d’une idéologie du « faire contre » que du « faire avec ». Dernière tendance observée : « Plus les agriculteurs avaient des liens assez forts avec leurs conseillers agricoles, moins ils étaient enclins à adopter des pratiques favorables aux pollinisateurs, ce qui suggère une importance de l’environnement social dans lequel les agriculteurs agissent ».
Sabrina Gaba a aussi creusé le comportement des agriculteurs face aux risques, avec l’exemple d’implantation de bandes fleuries. Les agriculteurs qui ont le plus « peur » d’une perte de production attendent une incitation financière conséquente pour l’implantation de bandes fleuries, comparés à des agriculteurs qui ont une « peur »plus faible d’une perte de production. Le même schéma de comportement est observé pour la prise de risque financière et pour la prise de risque de plantes adventices.
Elle conclu sa prise de parole par un exemple d’essai de réduction des risques financiers, mené par un chercheur italien en 2015 et 2016, Lorenzo Furlan, au Nord de l’Italie. Il a créé une assurance collaborative, Agrifondo Mutualistico, face aux aléas économiques liés aux mauvaises récoltes de maïs. 47 558 ha ont été couverts par ce fonds, avec de participation de 3,3 €/ha (environ 1/10ème du coût d’un insecticide). « Le revenu total pour couvrir les dommages causés par les taupins, la chrysomèle occidentale des racines du maïs, la faune sauvage etc… était de 160 335 €. Et le total des dommages payés était de 83 683 €, soit 52 % ». Cela reste un exemple, l’incitation financière pour amener un changement de pratiques reste un levier parmi d’autres…
« Transformer le modèle agricole vers un système agroécologique valorisant la biodiversité et à faible usage de pesticides : c’est possible ! Sans perte significative de rendement et avec gain de revenu, mais il y a plusieurs freins à cette adoption, notamment le comportement vis-à-vis du risque ».
Pour aller plus loin :
Webinaire de Solagro disponible ici https://vimeo.com/693432900
Site internet de Solagro https://solagro.org/